Réflexions sur les espaces naturels en milieu urbain – École d’urbanisme et d’architecture du paysage – UdeM (Colloque)

(Mise à jour 29 jan. 2023)

Le 25 octobre dernier, des membres de Rosemère Vert ont participé au colloque Réflexion sur les espaces naturels en milieu urbain à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal. Plusieurs invités d’horizons variés — universitaire, institutionnel et communautaire — y ont partagé leur expertise.

Le débat d’actualité entourant l’avenir des terrains de golf sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) soulève la question plus large de la préservation des espaces naturels en milieu urbain. Selon les organisateurs du colloque, les dernières décennies ont été marquées par un étalement urbain qui a détruit une part très importante des espaces naturels de la région, et ceux qui ont été épargnés jusqu’à présent ne suffisent plus à garantir le maintien de la biodiversité et de ses bénéfices en milieu urbain.

Pour susciter la réflexion, nous souhaitons partager avec vous un résumé des conférences de certains panélistes et experts en matière de protection des milieux naturels.



Les écosystèmes en milieux urbains sous pression

Jérôme Dupras, chercheur à l’Université du Québec en Outaouais et spécialiste en économie écologique, rappelle que les espaces naturels en milieu urbain subissent une énorme pression. Il ajoute que depuis les années 60, 80 % de la connectivité écologique a été perdue et que dans 30 ans, l’humanité devra agir comme une «pompe à carbone» pour arriver à maintenir le réchauffement à 1,5 °C. D’où l’importance de préserver ces derniers espaces naturels et d’optimiser leur couvert forestier.

Selon lui, les solutions basées sur la nature doivent être privilégiées, c’est-à-dire : protéger, restaurer et aménager de nouveaux écosystèmes. Il est impératif de joindre la lutte aux changements climatiques et la protection des écosystèmes, d’engager un dialogue intersectoriel / disciplinaire, de développer les connaissances et de s’impliquer avec les communautés.

Il souligne que l’argent investi dans la protection et la restauration des infrastructures naturelles permet à la fois d’enrichir les municipalités et de protéger les citoyens face aux conséquences associées aux dérèglements climatiques. Ces investissements ont des retombées positives en termes de justice sociale et de santé publique. Selon une étude récente, dit M. Dupras, les montréalais sont prêts à payer des millions de dollars en plus pour améliorer leur forêt urbaine ! Toutefois, les «leviers» sont absents pour préserver les espaces verts et on ne valorise pas encore assez ces milieux. Une nouvelle façon de voir les choses et un soutien par des mesures économiques ambitieuses sont nécessaires.


Le Grand Montréal à la croisée des chemins

Massimo Iezzoni, Directeur général de la Communauté métropolitaine de Montréal,  affirme que la région du Grand Montréal se trouve à un moment «critique» de son histoire et fait en même temps face à une grande opportunité. En effet, le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) est en cours de révision et donnera naissance à une nouvelle version : le PMAD II. De nouveaux élus ont récemment rejoint le Conseil de la CMM et démontrent une sensibilité accrue pour la préservation des derniers espaces naturels, pour la renaturalisation de sites comme les terrains de golf «en transition» et pour l’aménagement du territoire. On constate que le discours politique évolue. La densification de la population sur le territoire de la CMM est actuellement beaucoup moins élevée que celle de villes comme Toronto ou Vancouver. La CMM, dit-il, possède l’espace requis pour accueillir la croissance démographique projetée de plus de 400 000 nouveaux foyers, sans avoir à empiéter sur les précieux espaces naturels, les terrains de golf « en transition » ou sur la zone agricole.  Il importe de densifier la banlieue de façon intelligente et de requalifier, par exemple, les centres d’achats.

Ce défi du PMAD II, visant à préserver un maximum d’espaces verts sur le territoire, reflète la volonté citoyenne précise M. Iezzoni, avant d’ajouter que les Règlements de Contrôle intérimaire (RCI) n’auraient pas été possibles si l’Orientation gouvernementale en matière d’aménagement du territoire (OGAT) n’avait pas été assez ambitieuse.

L’intention du PMAD consiste à avoir une vision face à la nécessité de créer des milieux de vie complets. Les objectifs par rapport aux milieux naturels étant de : protéger, mettre en valeur, donner accès, relier ces milieux entre eux et accélérer les gains en couvert forestier. Il insiste sur l’importance d’utiliser tous les outils disponibles à leur plein potentiel pour y arriver soit : le PMAD, la Trame Verte et Bleue, le pouvoir d’expropriation et la volonté manifeste d’un nombre croissant de municipalités qui adoptent un agenda vert. Malheureusement, dit-il, des municipalités traînent encore la patte (une cinquantaine au sein de la CMM). Il rappelle qu’au dernier congrès de l’Union des municipalités du Québec, le premier ministre François Legault s’est engagé à présenter une réforme de la Loi sur l’expropriation en 2023.

La Trame Verte et Bleue[1] , financée à 30 % par le gouvernement québécois, représente l’outil principal pour travailler avec les villes, dit-il. Il existe un potentiel de 14 000 hectares afin d’agrandir le réseau de parcs métropolitains et favoriser un accès égalitaire aux espaces verts. Si les villes souhaitent acquérir un ancien golf sur leur territoire pour des fins d’intérêt public dit M. Iezzoni, la CMM sera au rendez-vous selon les critères qu’elle aura établis. L’accès à des espaces verts de qualité doit être priorisé pour faire accepter l’inévitable densification.
⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯

[1] TVB - Réseau structuré de milieux naturels aménagés à des fins récréotouristiques dans une perspective intégrée et globale, grâce à la réalisation d’initiatives locales à l’échelle du Grand Montréal.


Santé et protection des espaces verts

Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin de famille dans Hochelaga-Maisonneuve et présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME) estime qu’il faut se réapproprier la santé à l’extérieur des hôpitaux. La santé, dit-elle, dépend à 80 % de l’environnement et du contexte social. Chaque dollar investi en espace vert peut rapporter jusqu’à 15 $ en bénéfices sanitaires et sociaux. Plus il y a d’espaces verts dans les communautés, plus le niveau de bien-être s’accroît et les taux de mortalité et de criminalité décroissent. La revue scientifique médicale The Lancet, dit-elle, qualifie les impacts des changements climatiques comme étant le pire risque pour la santé publique mondiale et décrit le moment présent comme étant la plus grande opportunité de la redresser.


Protection des espaces verts et retombées sociales

Isabelle Bérubé, Directrice du développement chez Société pour la nature et les parcs - section Québec (SNAP Québec), fait remarquer qu’au-delà des bénéfices pour la santé et de la résilience climatique, la préservation des espaces naturels permet de préserver la biodiversité, les paysages, la qualité de vie, en plus d’augmenter la valeur foncière, les retombées sociales positives, le potentiel touristique et les services écosystémiques rendus à la communauté.

Les villes ne sont pas à la hauteur du défi de préservation des espaces verts dit-elle. Ces dernières devraient pouvoir exproprier pour des raisons de protection de la biodiversité et de lutte / adaptation aux changements climatiques. Les golfs protégés par le règlement de contrôle intérimaire (RCI) de la CMM dit-elle, vont s’inscrire dans une grande trame de connexion des espaces verts préservés. Ce sont des espaces qui offrent une excellente opportunité de restauration de la nature. Elle en profite pour annoncer que le prochain Sommet sur la biodiversité pour les municipalités se déroulera en février prochain, à Laval.


Changements climatiques et biodiversité

Ursule Boyer-Villemaire, gestionnaire de projets pour Ouranos et professeure associée à l’UQAM sur la prévention, l’adaptation et l’atténuation des impacts des changements climatiques affirme que les changements climatiques influencent déjà la biodiversité : 324 espèces de plantes et 153 vertébrés étaient déjà en situation précaire en 2020 au Québec. Il est essentiel de développer une collaboration multiniveau dit-elle, pour transformer la «gestion de la nature» et réduire l’espace donné à la voiture, par exemple, en aménageant des stationnements étagés. Le droit de préemption[1] doit faire partie du coffre à outils des municipalités mais il est insuffisant. Il est nécessaire d’y ajouter des mécanismes d'éco-fiscalité et autres pour atteindre des cibles plus ambitieuses. Les écosystèmes urbains sont des alliés efficaces d’une trajectoire résiliente face aux changements climatiques.

⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯

[1] Un droit de préemption est un droit légal ou contractuel accordé à des personnes privées ou publiques d'acquérir un bien par priorité à toute autre personne et ce lorsque le propriétaire manifeste sa volonté de le vendre. (Wikipedia)


Densifier pour protéger

Guillaume Tremblay – Maire de Mascouche dit qu’il faut densifier pour protéger ! Il souligne le succès du Corridor forestier du Grand Coteau et affirme que les anciens golfs représentent maintenant une opportunité unique. Le RCI sur les golfs adopté par la CMM représente 474 hectares de territoire protégé. Maintenant, dit-il, les subventions et la refonte de la Loi sur l’expropriation doivent suivre, afin de permettre l’acquisition de ces espaces verts pour le bénéfice des communautés. Les autres paliers gouvernementaux doivent combler ces besoins financiers et législatifs des municipalités.


La participation citoyenne et la protection des espaces verts

Catherine Vallée, biologiste et fondatrice de la Coalition Terrains de golf en transition (TGT) fait remarquer que la Loi sur le développement durable adoptée par Québec en 2006 stipule «…qu’il faut remédier aux insuffisances d’un modèle de développement axé sur la seule croissance économique en reconsidérant nos façons de faire compte tenu des nouvelles priorités.» Cette loi intègre 16 principes dont 3 sur la participation citoyenne, qui est encouragée. D’ailleurs, des groupes de citoyens inquiets de voir les derniers espaces verts dans leur milieu de vie se mobilisent et s’impliquent bénévolement pour la préservation de ces milieux. Elle rappelle que selon la firme Habitat (2021), il ne reste que 24,9 % de milieux naturels sur le territoire terrestre de la CMM en incluant les friches agricoles (7 %). Cette étude n'inclut pas les 69 golfs qui couvrent environ 1,5 % de la superficie de ce territoire. Pour atteindre les objectifs de la Convention sur la diversité biologique (CDB) dans la région du Grand-Montréal (30 % de protection de milieux terrestres, 30 % de milieux marins et 20 % de restauration de milieux naturels dégradés), on ne peut faire autrement que de protéger tous les milieux naturels restants et tous les golfs, en se retrouvant tout de même avec un déficit de 3,5 % de superficie en espace vert.

Elle ajoute que des obstacles se dressent face à la préservation des milieux naturels et espaces verts : l’absence de balises satisfaisantes et de planification au niveau des MRC et des municipalités, un manque de planification de la part du gouvernement provincial pour atteindre les cibles de protection dans les écosystèmes pourtant plus riches et très dégradés du sud du Québec, l’étalement urbain (toujours observé malgré les OGAT), la piètre qualité des consultations publiques dans les villes sans Office de consultation publique (manque de transparence, désinformation, évitement, etc.), Loi sur l’expropriation qui favorise les propriétaires et ne protège pas adéquatement le bien-commun.


Changer nos façons de faire

Pierre Renaud, avocat en environnement, ancien président du BAPE et maire du Canton de Lochaber-Partie-Ouest partage la vision des élus de sa municipalité : «Pour soutenir nos engagements de préservation de la qualité de l’environnement et de la qualité de vie de nos citoyens, nous devons aussi accepter de reconsidérer et de  modifier nos organisations, nos comportements, nos institutions et la nature de notre développement économique, car il nous est impossible de changer les lois de la physique, de la chimie ou de la biologie. Nous devons donc, pour les générations présentes et futures, gérer avec une saine gouvernance et une éthique respectant la qualité de l’environnement. […] Le monde de demain ne doit pas être celui que nous avons vécu hier ! Notre monde se doit d’être meilleur, géré avec une saine gouvernance et avec sagesse dans un cadre de développement durable où la croissance n’est plus l’unique moteur de notre société (faux dogme). En ce début du 21e siècle, nos modes de décisions doivent maintenant être guidés par le maintien de la qualité de l’environnement et de notre qualité de vie, pour les générations présentes et futures.»

 Sur le déclin de la nature, il rappelle que les municipalités peuvent être considérées comme étant responsables de 50 % de ce grand déséquilibre et ne doivent surtout pas agir comme des «agents immobiliers». Elles doivent adopter des façons d’aménager correctement en favorisant la qualité de vie et en préservant les espaces verts. Selon lui, les municipalités ne devraient jamais donner de chances aux promoteurs et devraient bannir toute rencontre avec eux, en leur disant de s’en tenir à la consultation du plan d’urbanisme, tout simplement. Quel conseil donne-t-il aux villes où les élus ne collaborent pas? Les déloger en se présentant aux élections municipales. Il suggère que la Loi sur le développement durable soit modifiée (article 4) pour y inclure les municipalités et exiger qu’elles intègrent les 16 principes du développement durable à leurs plans d’urbanisme.

Précédent
Précédent

Nouveau plan d’urbanisme et consultation publique du 16 janvier 2023 - Informations supplémentaires

Suivant
Suivant

La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) met un frein au développement immobilier sur le site de l’ancien golf